Premier Chapitre
Afghanistan, zone frontière nord, Juillet 2001.Un scintillement sur le chemin, à la sortie d’une gorge encaissée, dans le soleil du matin. Sous les pierriers ocres sans aucune végétation, sous les sommets blancs et sous un ciel d’un bleu immobile, sans nuages, sans traces d’avions et sans oiseaux. La lueur vacille, s’amplifie puis disparaît et resurgit. Un rayon de soleil sur le pare-brise d’une vieille Lada.
Sur la banquette arrière, entre deux coliques fulgurantes, un homme de taille moyenne, aux yeux clairs, livide et transpirant, tente de suivre la piste des yeux pour ne pas vomir.
Le conducteur, grand, édenté et hirsute échange de temps à autre quelques mots dans une langue que l’européen ne comprend pas avec l’autre passager, assis à ses côtés, barbu, plus petit, le front barré sur la droite d’une longue cicatrice verticale qui l’empêche d’ouvrir complètement un oeil mort et vêtu d’une tunique beige et crasseuse.
Tous les trois ou quatre kilomètres, quand la berge de la rivière le permet, la voiture s’arrête. Le balafré saisit un bidon de plastic gris sous le siège et va chercher de l’eau sur la rive en boitant pour remplir le radiateur de la Lada qui fuit. L’homme à l’arrière en profite alors pour bondir hors de la voiture et va se soulager derrière le premier rocher. Quand il revient en se tenant le ventre, les deux Afghans éclatent de rire.
Alors Piotr, on ne supporte pas le climat d’Asie Centrale ? lui lance le grand dans un russe approximatif. Bois ! Et il lui tend le bidon ramené par l’autre.
- Je ne m’appelle pas Piotr, je m’appelle Pierre, je ne suis pas russe, je suis français.
- Mon œil. Un type qui parle le russe comme toi est forcément russe. Et tu sais quoi ? Ici tous les étrangers ont fini comme ça, décimés par la chiasse. Les anglais, les russes et même Alexandre le Grand au bord de l’Amou Daria. Et il rit à nouveau. Et ça sera pareil pour les suivants.
Il remonte dans la voiture. Pierre a mal partout, à la tête, aux muscles, aux articulations, il a de la fièvre. Il essaye de comprendre.
Tout avait pourtant commencé comme prévu par son enlèvement à l’aéroport de Tashkent une semaine plus tôt. « Ne bronche pas, laisse –toi faire sans résister, ça fait partie du plan ». Quel plan ? Il ne sait plus. Il est encore pétrifié par la violence de cette mise en scène sordide, la tête de Martin qui explose comme une pastèque qu’on lâche. Et puis les yeux bandés, les planques au milieu de nulle part, le riz et la viande d’agneau si grasse qu’on lui sert le soir dans une sorte d’écuelle en fer blanc. Par où avaient-ils passé ? Il ne savait pas. Et son avant-bras gauche, la cicatrice qui suinte, les journées sans fin entre les montagnes dans cette vielle bagnole sans amortisseurs.
Et la Lada poursuit sa route vers le sud, petit scarabée vert, titubant et obstiné dans l’éblouissante immensité minérale.
Afghanistan, zone frontière nord, Juillet 2001.
Un scintillement sur le chemin, à la sortie d’une gorge encaissée, dans le soleil du matin. Sous les pierriers ocres sans aucune végétation, sous les sommets blancs et sous un ciel d’un bleu immobile, sans nuages, sans traces d’avions et sans oiseaux. La lueur vacille, s’amplifie puis disparaît et resurgit. Un rayon de soleil sur le pare-brise d’une vieille Lada.
Sur la banquette arrière, entre deux coliques fulgurantes, un homme de taille moyenne, aux yeux clairs, livide et transpirant, tente de suivre la piste des yeux pour ne pas vomir.
Le conducteur, grand, édenté et hirsute échange de temps à autre quelques mots dans une langue que l’européen ne comprend pas avec l’autre passager, assis à ses côtés, barbu, plus petit, le front barré sur la droite d’une longue cicatrice verticale qui l’empêche d’ouvrir complètement un oeil mort et vêtu d’une tunique beige et crasseuse.
Tous les trois ou quatre kilomètres, quand la berge de la rivière le permet, la voiture s’arrête. Le balafré saisit un bidon de plastic gris sous le siège et va chercher de l’eau sur la rive en boitant pour remplir le radiateur de la Lada qui fuit. L’homme à l’arrière en profite alors pour bondir hors de la voiture et va se soulager derrière le premier rocher. Quand il revient en se tenant le ventre, les deux Afghans éclatent de rire.
Alors Piotr, on ne supporte pas le climat d’Asie Centrale ? lui lance le grand dans un russe approximatif. Bois ! Et il lui tend le bidon ramené par l’autre.
- Je ne m’appelle pas Piotr, je m’appelle Pierre, je ne suis pas russe, je suis français.
- Mon œil. Un type qui parle le russe comme toi est forcément russe. Et tu sais quoi ? Ici tous les étrangers ont fini comme ça, décimés par la chiasse. Les anglais, les russes et même Alexandre le Grand au bord de l’Amou Daria. Et il rit à nouveau. Et ça sera pareil pour les suivants.
Il remonte dans la voiture. Pierre a mal partout, à la tête, aux muscles, aux articulations, il a de la fièvre. Il essaye de comprendre.
Tout avait pourtant commencé comme prévu par son enlèvement à l’aéroport de Tashkent une semaine plus tôt. « Ne bronche pas, laisse –toi faire sans résister, ça fait partie du plan ». Quel plan ? Il ne sait plus. Il est encore pétrifié par la violence de cette mise en scène sordide, la tête de Martin qui explose comme une pastèque qu’on lâche. Et puis les yeux bandés, les planques au milieu de nulle part, le riz et la viande d’agneau si grasse qu’on lui sert le soir dans une sorte d’écuelle en fer blanc. Par où avaient-ils passé ? Il ne savait pas. Et son avant-bras gauche, la cicatrice qui suinte, les journées sans fin entre les montagnes dans cette vielle bagnole sans amortisseurs.
Et la Lada poursuit sa route vers le sud, petit scarabée vert, titubant et obstiné dans l’éblouissante immensité minérale.
Afghanistan, zone frontière nord, Juillet 2001.
Un scintillement sur le chemin, à la sortie d’une gorge encaissée, dans le soleil du matin. Sous les pierriers ocres sans aucune végétation, sous les sommets blancs et sous un ciel d’un bleu immobile, sans nuages, sans traces d’avions et sans oiseaux. La lueur vacille, s’amplifie puis disparaît et resurgit. Un rayon de soleil sur le pare-brise d’une vieille Lada.
Sur la banquette arrière, entre deux coliques fulgurantes, un homme de taille moyenne, aux yeux clairs, livide et transpirant, tente de suivre la piste des yeux pour ne pas vomir.
Le conducteur, grand, édenté et hirsute échange de temps à autre quelques mots dans une langue que l’européen ne comprend pas avec l’autre passager, assis à ses côtés, barbu, plus petit, le front barré sur la droite d’une longue cicatrice verticale qui l’empêche d’ouvrir complètement un oeil mort et vêtu d’une tunique beige et crasseuse.
Tous les trois ou quatre kilomètres, quand la berge de la rivière le permet, la voiture s’arrête. Le balafré saisit un bidon de plastic gris sous le siège et va chercher de l’eau sur la rive en boitant pour remplir le radiateur de la Lada qui fuit. L’homme à l’arrière en profite alors pour bondir hors de la voiture et va se soulager derrière le premier rocher. Quand il revient en se tenant le ventre, les deux Afghans éclatent de rire.
Alors Piotr, on ne supporte pas le climat d’Asie Centrale ? lui lance le grand dans un russe approximatif. Bois ! Et il lui tend le bidon ramené par l’autre.
- Je ne m’appelle pas Piotr, je m’appelle Pierre, je ne suis pas russe, je suis français.
- Mon œil. Un type qui parle le russe comme toi est forcément russe. Et tu sais quoi ? Ici tous les étrangers ont fini comme ça, décimés par la chiasse. Les anglais, les russes et même Alexandre le Grand au bord de l’Amou Daria. Et il rit à nouveau. Et ça sera pareil pour les suivants.
Il remonte dans la voiture. Pierre a mal partout, à la tête, aux muscles, aux articulations, il a de la fièvre. Il essaye de comprendre.
Tout avait pourtant commencé comme prévu par son enlèvement à l’aéroport de Tashkent une semaine plus tôt. « Ne bronche pas, laisse –toi faire sans résister, ça fait partie du plan ». Quel plan ? Il ne sait plus. Il est encore pétrifié par la violence de cette mise en scène sordide, la tête de Martin qui explose comme une pastèque qu’on lâche. Et puis les yeux bandés, les planques au milieu de nulle part, le riz et la viande d’agneau si grasse qu’on lui sert le soir dans une sorte d’écuelle en fer blanc. Par où avaient-ils passé ? Il ne savait pas. Et son avant-bras gauche, la cicatrice qui suinte, les journées sans fin entre les montagnes dans cette vielle bagnole sans amortisseurs.
Et la Lada poursuit sa route vers le sud, petit scarabée vert, titubant et obstiné dans l’éblouissante immensité minérale.