Premier Chapitre
- I -La demande en mariage
Val de Loire, Château de Coulanges, le 02 juin 1558
Debout près de la croisée à meneaux dont le vantail à petits carreaux s’ouvrait largement sur la cour, Philippe de Coulanges, captif des effluves du rosier qui grimpait le long du mur, souriait en observant la scène qui se déroulait en contrebas. Sa fille Isabelle et son fils Pierre y ferraillaient en effet depuis un moment.
Son sourire n’avait rien de moqueur, au contraire, sa fille attaquant, parant, feintant aussi bien que son aîné, sinon mieux. Perdu dans sa contemplation, il tournait le dos à la salle et à son invité qui, n’ayant plus pour horizon que les reliefs de leurs repas, laissait courir son regard sur les meubles ouvragés et les chatoyantes tapisseries afin de se distraire du cliquetis des lames qui, se croisaient, s’entrechoquaient, glissaient l’une sur l’autre et, à dire vrai, lui portaient sur les nerfs, ne partageant guère l’admiration du baron pour les prouesses de sa fille.
Impatient, ce dernier s’éclaircit la gorge pour rappeler sa présence au maître des lieux.
“Ah, Donatien !” fit le baron en se tournant vers son hôte, un large sourire éclairant son visage, “Je vous avais oublié … Il faut dire que ces enfants sont si beaux … Mais reprenez de ce délicieux vin de Loire. Je sais que vous l’adorez !”
“Je n’adore pour ma part que notre seigneur, Philippe !” rétorqua Donatien d’un ton sentencieux.
“C’est le terme “adorer” qui vous chagrine, et qui serait impropre selon vous face à qualifier ce souverain nectar ?… Vous êtes par trop rigide, Donatien !” renvoya Philippe, feignant un agacement qu’il n’était pourtant pas loin d’éprouver, l’air sombre qu’affichait son ami ne lui ayant pas échappé.
“Et vous par trop léger dans votre langage, Philippe, quant à vos … principes …” ajouta le prêtre en levant la main, soulignant par ce simple geste en quelle piètre estime il tenait ses théories.
“Oh … mais je vois que vous avez des reproches à me faire, votre mine chagrine le dit assez. Je ne suis point à confesse mais je suis prêt à les entendre … au nom de notre vieille amitié ...” fit le baron en reprenant place face au petit homme replet dont le visage lunaire d’ordinaire si jovial sous son abondante toison noire, s’était depuis un moment rembruni.
“Il ne s’agit pas de vous mais de votre fille … En fait, voyez-vous, c’est de son avenir qu’il s’agit … L’éducation que vous lui avez donnée, Philippe, ne la préparant guère à devenir l’épouse docile et uniquement occupée de sa maisonnée que tout seigneur serait en droit d’espérer …” continua le prêtre d’un air déterminé sachant pourtant les foudres qu’il allait s’attirer.
Mais sa foi et son engagement auprès de Dieu le lui ordonnaient … et puis cette mission dont il avait été investi … Les traits réguliers de Philippe, que soulignaient une fine moustache et un collier de barbe blonde, s’étaient brusquement crispés sous la tirade, ses mâchoires se serrant. Il se mit à fixer son hôte, affichant cette fois une irritation bien réelle. En dépit de leur amitié, Philippe ne supportait pas les “attaques” incessantes de Donatien contre ses méthodes d’éducation. Ce dernier venait de l’atteindre tout autant que s’il l’avait fait de la pointe d’une épée et bien qu’il sût son saint ministère le protéger des mémorables colères du baron, Donatien s’inquiétait, sentant déjà gronder le volcan.
“Nous y voilà !” fit Philippe en fermant les yeux comme si la vue de son invité lui était soudain devenue insoutenable.
Donatien avait baissé les siens sur son ventre rebondi et les mains croisées, commençait d’adresser une prière muette à son Seigneur et maître.
“Que connaissez-vous, Donatien de … l’éducation…, j’entends, celle qui se donne au sein d’une famille ?” lança Philippe, dardant la braise de ses yeux bleus sur son hôte. “La religion réformée autorise le pasteur à se marier et à fonder famille … Lui, est susceptible d’avoir un avis sur la question …” jeta-t-il en insistant sur le mot “lui”. “Ne croyez-vous pas qu’il y a là, matière à réflexion ? …” ajouta-t-il avec provocation.
“Philippe …” jeta Donatien outré, en relevant les yeux sur son ami. “Comment pouvez-vous un seul instant vous intéresser à la doctrine de ces hérétiques !...” renvoya-t-il d’un ton courroucé, chose qui pourtant ne l’étonnait guère, connaissant la singularité du maître de Coulanges.
“J’aime bien aller voir ailleurs ce qui se passe et se dit, y compris en religion !…” rétorqua Philippe d’un ton abrupte.
“Hérésie !...” s’écria Donatien en se signant. “Si nous n’étions amis, je douterais de vous, Philippe !…”
“Vous croyez que notre amitié, que nos souvenirs d’enfance et tout ce que nous avons partagé jusqu’ici, vous empêcheraient de douter de moi, de m’accuser d’hérésie et de me faire conduire au bûcher … si l’envie vous en prenait à vous et à vos semblables !…” lui asséna Philippe, égratignant par ces paroles acerbes leur belle entente.
Chacun soutenant le regard de l’autre, les deux hommes se jaugeaient, soudain conscients de la fragilité du lien qui les unissait. Furieux contre lui-même et contre son ami, le baron se leva bruyamment en faisant grincer sa chaise sur le parquet. Il avait besoin de bouger pour évacuer la bile qui l’échauffait et, tournant le dos à son hôte, se planta devant la croisée.
“Vous n’avez pas l’intention de vous … convertir … Philippe ?” hasarda dans son dos Donatien, soudain franchement inquiet.
Le bruit des lames s’était tu. Isabelle et Pierre riaient et se congratulaient sous les fenêtres. A leur vue, la colère de Philippe fondit aussitôt. Il était si fier de ses enfants, de ce qu’ils étaient devenus, en dépit de sa fameuse éducation justement.
“Non, Donatien … pas encore !” fit-il, en se retournant à demi, d’un ton plus amène mais un rien sarcastique.
Une des guêpes bourdonnant sur le rosier tout proche aurait fait une incursion dans la salle et l’aurait piqué que Donatien n’aurait pas bondi plus haut sur son siège.
“Que dites-vous ? ” explosa-t-il.
Philippe en aurait presque éclaté de rire s’il n’avait pas été si irrité.
“Vous m’avez très bien entendu, Donatien !”
A ces mots, ce dernier se signa derechef.
“Mais vous avez à cœur, ce me semble, l’avenir d’Isabelle et pour le grand amour que j’ai d’elle, je consens à vous écouter !” fit Philippe, soudain plus amène, en se tournant vers lui.
N’en croyant pas ses oreilles, Donatien posa sur lui un regard circonspect. Philippe avait beau afficher sa bonhommie coutumière, le torse bombé sous son pourpoint de soie grège, un sourire éclairant son visage, cela pouvait n’être qu’une façade.
“Pour ce que j’ai à vous dire, je préfèrerais que vous … que vous vous rasseyiez, Philippe”, fit son hôte d’un ton grave.
Philippe de Coulanges intrigué par l’entrée en matière et curieux de connaître la suite, se rassit donc.
“Voilà, je … je suis venu en quelque sorte, en ambassadeur ...” commença Donatien avec une affectation que Philippe ne lui connaissait pas et qui bizarrement ne lui dit rien de bon.
“En ambassadeur, rien que cela !” s’étonna-t-il, mi-amusé, mi-inquiet.
“Oui, je suis venu vous présenter une requête au nom de … au nom d’une personne qui désirerait vous rencontrer pour une affaire qui lui tient à cœur ...” commença son ami d’un ton sentencieux, inquiet de la réaction du bouillant baron face à son annonce.
Philippe fronça les sourcils. Que de circonlocutions de langage !
“Cessez donc de tourner autour du pot, Donatien et allez droit au but ! ” lança-t-il avec plus d’impétuosité qu’il n’aurait voulue.
Le prêtre réprima, par la grâce de Dieu, un sursaut qui lui aurait fait perdre de sa superbe. Et de sa superbe, il avait précisément grand besoin …
“Voilà, je viens en tant que représentant du comte Hector de Lherme. Celui-ci désire vous faire une demande en mariage pour votre fille Isabelle et il m’a chargé d’une première approche. Si l’idée vous agrée, je dois lui transmettre votre accord, de sorte qu’il se présente au château pour vous faire sa demande en personne et dans les règles …”
Philippe de Coulanges se figea sur son siège. Un silence, troublé seulement par le murmure des abeilles sur le rosier et le trissement des hirondelles à travers l’azur, s’installa soudain entre les deux hommes, Philippe digérant lentement la tirade pour le moins inopportune de son ami.
Sa fille avait attiré l’attention d’un homme …, un homme qui désirait la demander en mariage …, un homme qui allait franchir le seuil du château et … lui ravir la lumière de sa vie … Il sentit soudain son cœur se serrer et peser sur ses épaules le poids du temps. C’était comme s’il venait, en quelques secondes, de vieillir de plusieurs années, ou plutôt, de découvrir son âge … et de ce fait celui d’Isabelle … dix-sept ans …
Il ne laissa cependant rien paraître de son trouble.
“Le comte de Lherme ...” répéta-t-il, feignant un intérêt qu’il ne ressentait pas vraiment, rassuré cependant que ce fût un seigneur voisin qui montrât de l’intérêt pour sa fille.
En pensée, il revoyait un homme de haute stature, bien fait de sa personne, aux traits un peu durs cependant et à l’orgueil démesuré, détail qui ne parlait pas en sa faveur, mais dont les terres jouxtaient celles de Coulanges et qui n’affichait que trente ans. A cela, il savait Isabelle sensible, elle qui ne côtoyait que jeunesse à longueur de temps, mais pour ce qui était de la demande elle-même, il n’était pas certain qu’elle y souscrivît.
Le père Noblet fixait son interlocuteur, guettant sa réaction. Il avait à cœur de réussir dans sa démarche, désirant qu’Isabelle se comportât enfin en jeune fille digne de son rang, qu’elle cessât de courir la campagne comme une sauvageonne, de s’habiller en garçon et de ferrailler comme tel … La voir mariée à un seigneur qui saurait la dompter et juguler cette trop grande vitalité, était son vœu le plus cher … mais cela, Philippe de Coulanges devait l’ignorer. Pour les futurs protagonistes, il ne devait demeurer qu’un intermédiaire impartial.
“Eh bien, Donatien …” fit le baron après un temps de réflexion, “vous direz au comte de Lherme que je suis honoré de sa demande et … que j’accepte de le rencontrer …”
Pour la seconde fois, le saint homme n’en cru pas ses oreilles et remercia en pensée, le Seigneur d’avoir exaucé ses prières. Il n’osa cependant se signer de nouveau, ni trop afficher sa satisfaction, si ce n’est pour la réussite de son ambassade. Il restait maintenant à en informer l’intéressée et tout soudain, il remercia le ciel de l’avoir fait embrasser la religion et fuir la gent féminine dont la charmante demoiselle de Coulanges était un bien curieux spécimen ...
Furieuse, Isabelle arpentait sa chambre en pestant contre le sort et en donnant à l’envi des coups de pied dans un pauvre pouf qui, stoïque, supportait sa colère.
“Comment avez-vous pu me faire une chose pareille, mon père ? M’enfermer pour recevoir ce comte de malheur alors que je suis la première concernée … et que je vous ai dit mille fois qu’il était hors de question que je le prenne pour époux … Comment pouvez-vous tant me faire souffrir, moi qui vous aime si fort ?” clamait-elle.
Fatiguée par son manège, elle finit par se laisser tomber sur le premier siège venu, ses longues boucles cuivrées que retenait un simple ruban, retombant sur ses épaules.
Trois petits coups sur la porte la firent se dresser d’un bond.
“C’est moi, Isabelle, Toinette. J’ouvre la porte pour vous apporter une collation, mais vous me promettez de ne pas tenter de sortir ?…”
“Je ne promets rien, Toinette !” renvoya l’intéressée. “Et de toute façon, je n’ai pas faim !…”
“Je m’inquiète pour vous, Isabelle !”, fit la gouvernante d’une voix qui faisait peine. “Vous n’avez déjà rien mangé au dîner …”
La jeune fille se mit à fixer la porte. Elle ne pouvait réagir ainsi vis-à-vis de Toinette qui l’avait élevée comme sa propre fille …
“Soit, mais je n’ouvrirai qu’à une condition …”
Toinette secouait déjà la tête de l’autre côté de la porte en levant les yeux au ciel.
“… que tu me donnes des nouvelles … de ce qui se dit en bas !” exigea Isabelle, en frappant d’un pied rageur sur le plancher.
“Mademoiselle, vous me demandez … d’aller écouter aux portes !… Cela ne se peut !… Si Monsieur le baron me surprend, il sera furieux !…”
“Je n’ouvrirai qu’à cette condition, Toinette. Je suis désolée. Je prendrai cela sur moi … si mon père te découvre l’oreille contre le battant … mais je dois savoir ce qui se trame dans mon dos !…” jeta-t-elle avec détermination.
Un silence se fit pendant lequel Toinette pesa le pour et le contre.
“Soit, j’y vais, mais … c’est la mort dans l’âme … Je n’ai jamais fait une chose pareille… Le ciel m’est témoin que je le fais pour vous, Isabelle … Je vais devoir me confesser au père Noblet …”
“Sûrement pas, Toinette ! Tu n’en feras rien … C’est lui, l’artisan de ce … maudit mariage !” rétorqua-t-elle furieuse.
“Bon, alors je prierai seule le seigneur pour qu’il me pardonne …”
“Va, Toinette, vite, il n’y a pas de temps à perdre !…” tempêta de plus belle la prisonnière, exaspérée par ces tergiversations.
Au bout d’un moment qui lui parut une éternité et qu’elle avait occupé en commençant une partie d’échec face à un adversaire imaginaire, Isabelle entendit des pas retentir sur le palier.
La clé tourna bientôt dans la serrure et c’est une Toinette aux anges qu’elle découvrit sur le seuil.
“C’est fait, mon père a dit oui…, me voici fiancée !…” lança Isabelle face au visage radieux qu’auréolait une coiffe immaculée ourlées de frisons châtains et aux yeux noisette qui pétillaient de joie. “Cela a l’air de te réjouir toi aussi de me voir marier à ce…”
“Isabelle, Isabelle … votre père !… ”
“Quoi mon père ? …”
“Eh bien, votre père … a refusé tout net la proposition du comte !…” lança Toinette, heureuse d’être le messager du bonheur, du moins de celui de sa jeune maîtresse, à défaut d’être celui de l’infortuné prétendant.
“Quoi … que dis-tu ?” fit Isabelle en prenant sa presque mère par la main et en la faisant tournoyer dans la chambre.
“Oh, demoiselle, du calme …” souffla Toinette “je n’ai plus l’âge de virevolter comme une jeunesse à la Saint Jean !…”
“Oh, Toinette, père a refusé … Père a refusé !... Je suis si heureuse … Je vais de ce pas l’embrasser !…” jeta-t-elle.
Elle se précipita hors de la chambre et dévalait déjà l’escalier en direction du hall quand la voix de Toinette lui parvint.
“Isabelle, attendez, pas si vite !…”
En effet, la jeune fille dut arrêter sa course à quelques pas de son but. Le comte de Lherme était encore là … Quelle sotte elle avait été … Elle aurait dû attendre et guetter son départ depuis sa chambre … Au lieu de cela elle l’avait maintenant en face d’elle …
Il était sorti avec précipitation du bureau de son père sans que ce dernier ne le raccompagnât, et, traversant le hall, regagnait la sortie d’un air rageur, son couvre-chef à la main se balançant au rythme de sa déconvenue. Devinant une présence, il s’arrêta net pour découvrir Isabelle, figée au bas des marches. Si ses yeux avaient pu l’occire, elle serait sans doute morte sur place… Elle frémit de voir en lui tant de violence, celle-ci faisant bientôt place à un feu vengeur qui embrasa ses prunelles bleues … Et Isabelle comprit, qu’atteint dans son orgueil, ce dernier ne lui pardonnerait jamais l’affront qu’elle venait de lui infliger en lui refusant sa main … et qu’elle devait désormais le compter au nombre de ses ennemis.
Eglise de Coulanges, deux jours plus tard
En cet après-midi de juin, le père Noblet ôtait les résidus de cire des plaques supportant les cierges quand il entendit la porte de l’église s’ouvrir dans son dos. Il se retourna et frémit en voyant s’encadrer, dans le rectangle lumineux du seuil, la silhouette familière du comte Hector de Lherme, les dalles renvoyant bientôt l’écho de ses pas. Donatien sentit les battements de son cœur s’accélérer en même temps que la honte l’envahit face à la crainte qu’il ressentait. Dieu était son plus sûr rempart, comment pouvait-il craindre une de ses brebis, fut-elle … enragée … Car celui qui s’approchait dans la lumière irisée qui coulait des vitraux, l’était on ne peut plus, enragé, ses mâchoires serrées et son regard noir ne le disant que trop …
“Bonjour mon père, je viens payer mes dettes, chose promise, chose due, voilà pour la réfection de votre toiture !” lança le comte en produisant une bourse replète, son geste démentant étonnamment sa mine.
Soulagé, Donatien eut envie de se signer mais le fit en pensée, craignant la réaction de son visiteur. Il s’éclaircit la voix afin de chasser son trouble.
“Soyez le bienvenu, mon fils, mais … je ne puis accepter pareil don, n’ayant guère réussi dans mon ambassade …” hasarda-t-il, le regrettant tout aussitôt devant les frémissements nerveux qui agitèrent à ces mots la joue du comte.
“Vous avez fait de votre mieux, j’en suis certain, mon père !” fit ce dernier abrupt. “Isabelle de Coulanges a rejeté ma demande …” ajouta-t-il, son ton acerbe trahissant la colère qu’il contenait avec peine.
“Gardez votre calme, mon fils, vous avez fait la démarche qui convenait en venant dans la maison de Dieu … Puisse cela vous apporter la paix de l’âme …”
“La paix de l’âme ! Je ne la connaîtrais jamais plus, mon père … Vous ne pouvez comprendre !…” grinça-t-il, avant de toiser l’homme d’église d’un regard méprisant.
Donatien n’en prit pas ombrage car il comprenait que le comte ne s’adressait pas à lui en particulier, mais à tous ses semblables qui, pour embrasser la religion, faisaient vœu de célibat.
“Vous n’avez jamais aimé, mon père …, désiré à en devenir fou …” jeta d’une voix sourde Hector de Lherme.
Le père baissa les yeux en joignant ses mains alors que le comte levait les siens vers les hauteurs en ogive comme s’il cherchait l’aide du très-haut et un visiteur qui les aurait surpris en cet instant, aurait trouvé l’un, le nez tourné vers le sol, abîmé en prière, l’autre, le nez levé vers le ciel, y cherchant une réponse. Ce faisant, le regard du comte se mit à courir le long des vitraux qui couvraient la façade, pour s’arrêter soudain sur l’un d’eux représentant une jeune fille qu’un soldat romain entraînait, sous l’œil de deux loups. La demoiselle de Coulanges occupait si fort ses pensées, que son esprit abusé prêta à la sainte les traits d’Isabelle …
“Qui est-ce ?” lança-t-il avec véhémence.
Donatien releva la tête et suivit son regard.
“Sainte Blandine, mon fils … Une martyre … Ce vitrail a une très grande valeur, voyez-vous, car il est unique … Elle y a été représentée avec des loups …, alors qu’en général elle est accompagnée d’un lion et d’un ours …” s’empressa-t-il de débiter heureux de louer la beauté de l’ouvrage et de détourner le comte de sa colère, du moins le supposait-il. “C’est un signe, mon fils, si votre regard s’est posé sur elle …” ajouta-t-il.
“Un signe !…” s’exclama le comte en ricanant.
“Cela signifie que peut-être tout n’est pas perdu avec Mademoiselle de Coulanges, elle est si jeune encore et si … écervelée. Son père est par trop indulgent avec elle mais elle va mûrir et prendra conscience de ses erreurs …”
“Non, mon père, je ne serai pas humilié une seconde fois … Il est de ces êtres qui, comme les pays, ne peuvent être pris que par la force …”
“Mon fils que dites-vous là !… Quels mauvais desseins occupent donc vos pensées ?…”
“Je pourrais enlever la belle et vous l’emmener pieds et poings liés …” suggéra le comte, une lueur folle brillant dans son regard.
“Je me refuserai à bénir une union qui se ferait sous la contrainte …” renvoya le prêtre dans la foulée.
Le comte reporta alors son regard sur la jeune martyre, noyée dans sa rousse chevelure, et que le soldat emmenait au sacrifice, soudain électrisé à l’idée d’enlever Isabelle de Coulanges et de lui faire payer pareillement, l’affront qu’elle lui avait infligé.
“Vous serez un jour à moi Isabelle, dussé-je vous y contraindre et pour cela vous faire souffrir mille morts !...” grinça-t-il intérieurement.