Premier Chapitre
Cannes la Bocca, 7 avril 2010Trop tard !
Nastya se plaque instinctivement, dos au mur, comme pour se fondre dans le ciment. Elle n’a rien vu venir. Le contrôle, comme une brèche dans leur anonymat, un coup de projecteur les mettant en lumière, eux qui ne cherchent que l’ombre. Elle voit, la mort dans l’âme, son père rejoindre une voiture banalisée, encadré par deux policiers.
La vie de clandestin ne pardonne pas les baisses de vigilance. Ils auront tenu trois ans, depuis leur départ de Moldavie. La jeune femme serre les poings dans un geste d’impuissance puis risquant un œil du côté de la place fait rapidement des yeux le tour des lieux. Le marché bat son plein. Le soleil éclabousse la place et la halle couverte faisant vibrer les couleurs des toiles tendues au-dessus des tréteaux. Des gens pénètrent sous les grands parasols, fouillent au milieu des vêtements suspendus, hésitent, repartent, ou tentent de négocier un rabais pour leur achat. D’autres déambulent pour le plaisir : il fait beau.
Nastya longe le mur, à l’abri des regards et va, de l’autre côté, observer les étals. Des enfants courent. Leurs mères les rappellent de peur de les perdre. Un chien, la truffe au vent, semble chercher son maître. Quelques vendeurs zélés hèlent les passants. Tout semble normal. Mais tous ces mois de méfiance lui ont appris à décoder les indices d’une présence policière. À gauche, sous le marché couvert, à l’ombre d’un pilier, un homme qui semble observer l’espace autour de lui : peut-être ? Peut-être pas ? Celui-ci, mains dans les poches, stationnant devant leur étal.
Et… merde ! Nastya rabat brusquement la capu-che de son sweet sur le visage. Celui qui approche a ce regard qu’elle ne connaît que trop bien : beaucoup trop affûté pour cette déambulation qui se veut tran-quille. Elle passe immédiatement en mode survie :
- Abandonner l’étal et toute la marchandise. Y retourner l’aurait immédiatement désignée à ceux qui les cherchent. Mais la perte est énorme.
- Disparaître.
L’homme n’est plus qu’à cinq ou six mètres. Sortir de son immobilisme maintenant la condamnerait. Elle sent le scan de son regard dériver dans sa direction.
À ce moment, un homme passe juste devant elle. Sans réfléchir, elle agrippe son bras, puis se pressant contre lui, l’embrasse à pleine bouche. Trois, quatre secondes avant que l’autre ne commence à réagir. Toujours ça de gagner ! Accentuant sa pression, elle pivote le ramenant contre le mur et elle, tournant le dos au reste de la place. Sept, huit secondes. Elle se dégage lentement et plante son regard dans celui de son partenaire improvisé ; un regard au laser, un regard de tueuse ! Douze, treize secondes quatorze, quinze ; l’autre finit quand même par sortir de son état de sidération et ouvre la bouche. Erreur ! Un coup violent dans l’estomac, juste sous les dernières côtes, pour lui couper la respiration puis prenant le pari que son « chasseur » a dû la dépasser, elle quitte les lieux dans la direction opposée.
Ne pas courir, pas tout de suite. Vingt, trente mètres. Ne pas se retourner. Si, quand même ! Juste le temps de voir sa victime recevoir une baffe magistrale de la part de sa copine, sans doute. Cinquante mètres, cent mètres. Nastya s’arrête à l’ombre d’un platane à côté du terrain de boules. Lentement, les battements de son cœur reviennent à la normale. Rien en vue. Son père ! Elle verra plus tard.
Disparaître.