Premier Chapitre
I / le 22 Juillet 2017Je ne me suis pas tout de suite aperçu que j’étais passé de vie à trépas.
De haut, je m’observais : étendu sur les pavés, le visage à peine abîmé par le choc mais cependant suffisamment pâle pour que je me pose des questions sur l’état de ma santé. De haut… à quelle hauteur, d’ailleurs ? Trois mètres au début puis, suite à une légère élévation, peut-être cinq, mais pas plus. Considérant qu’en ce moment je flotte au niveau de la fenêtre du premier étage de l’immeuble qui me fait face : disons quatre mètres cinquante.
J’ai vraiment pris conscience que la situation était anormale en m’apercevant que je voltigeais tout juste en face du balcon d’une jolie femme brune qui contemplait l’évènement. Elle s’était précipitée à sa porte-fenêtre après avoir entendu le crissement des pneus et le choc sourd d’un corps projeté jusqu’au pied de son immeuble. En ce moment, elle ne me prête aucune attention, à moi qui ne plane pourtant qu’à un mètre d’elle sur le plan horizontal. Toute sa concentration se porte vers le bas. Vers le corps d’un homme qui vient de subir un accident idiot. Moi. Un corps, de toute évidence parfaitement mort, allongé au plein milieu de la rue de la Villette. Étendu là, un peu désarticulé, le fémur droit dessinant, à hauteur de la cuisse, une bosse aiguë dans le rectiligne d’un pantalon en coton de bonne coupe. À quelques dizaines de centimètres, une rose blanche a roulé dans le caniveau. La rose qu’il tenait à la main quand c’est arrivé, la rose qu’il voulait offrir à sa mère.
Il n’a pas l’air si vieux, fait la jeune femme en parlant à quelqu’un qui vient de la rejoindre.
C’est vrai que je ne suis pas si vieux. Quarante-trois ans, c’est jeune pour mourir. Bizarrement, j’ai un œil ouvert et l’autre fermé. Est-ce que je suis en train de m’adresser un clin d’œil ? J’observe ce visage que je connais si bien. Visage quelconque, à dire vrai. Ce n’est pas que je le déteste. À force de coexister, on s’habitue. Mais, si j’avais eu le choix, ce n’est pas le faciès que j’aurais adopté. J’aurais certainement opté pour la tête d’un Gaspard Ulliel ou pour celle d’un George Clooney dans sa belle quarantaine. Mais non, c’est toujours une bouille sans expression qui se trouve là, à regarder le ciel, une bouille qui semble se demander ce qui lui arrive. Bon, on s’y fait. À force de s’examiner chaque matin dans la glace en se rasant, on s‘y fait. Par fatalisme. Mais rien ne vous épargne le regard porté sur les vitrines qui réfléchissent sans préavis votre portrait décevant. Ou bien la photo de vous-même, arborant un sourire imbécile, exposée aux yeux de tous sur le smartphone d’un ami qui vous veut du bien. Dépité, je le suis sans doute bien que, avec les années, je ne proteste plus. J’accepte. Comme on peut, de guerre lasse, accepter les évènements quand on ne possède plus aucun moyen de les modifier. Je n’apprécie ni ma tête ni mon aspect général, mais je ne me déteste pas pour autant. Je n’ai pas tiré le gros lot, voilà tout. Cela ne m’empêche pas de vivre correctement avec moi-même. Naviguant dans une barque honnête en définitive, classique et sans relief, incapable de rivaliser avec les yachts qui la toisent de haut, mais néanmoins acceptable… Ce-pendant, ne devrais-je pas parler de tout cela au passé ?
Tout le monde s’affaire autour de mon corps. Certains me tâtent le pouls, quelques-uns téléphonent frénétiquement, d’autres poussent des cris désordonnés qui indiquent l’affolement exalté qu’ils ne peuvent réfréner. À bien y regarder, j’en discerne plusieurs qui – sans se l’avouer – pren-nent plaisir à s’écrier « Mon Dieu ! Quel drame ! Quel malheur ! » alors qu’ils n’en pensent pas un mot et se régalent par avance du succès qu’ils vont obtenir en racontant la triste histoire à leurs voisins à l’heure de l’apéritif. « Je l’ai vu comme je vous vois… » diront-ils en parlant de moi.
Juste au-dessous de ma position, une brave dame épanche de sincères larmes dans un mouchoir de bon goût mais à la surface trop étroite pour absorber tout le liquide lacrymal qui s’écoule sur ses joues. À mon étonnement, je m’aperçois que je puis lire aisément dans ses pensées… Elle se trompe ! Non, ça ne vaut pas la peine de pleurer. Vous faites fausse route, madame. Mes enfants ne vont pas se lamenter en devenant orphelins puisque je n’ai aucune progéniture. Ma veuve ne versera pas une larme puisque je suis célibataire… Comme quoi, sur cette terre, on passe beaucoup de temps à geindre inutilement. L’imagination n’est pas la plus heureuse de nos conseillères.
Ah ! Une sirène ! Voilà les pompiers. Vingt minutes. Ils ont mis le temps. Ils sautent de leur véhicule pour placer tout le monde à bonne distance et déploient leur matériel de secours. L’un d’eux ouvre sans ménagement mon blazer Hugo Boss, au point d’en faire sauter les deux boutons. Un médecin. C’est après avoir observé au travers du toit de l’ambulance le képi en velours cramoisi qui stationne sur le siège que j’en déduis sa profession. Ses deux paumes sont posées sur mon sternum et voilà qu’il m’applique un vigoureux massage cardiaque dont je me serais bien passé. Ma cage thoracique s’enfonce puis reprend sa place à intervalles réguliers. Trente fois. Il faut de la patience. C’est alors que mon pompier bienfaiteur me bouche le nez et s’avise de m’embrasser sur la bouche. De mon vivant, j’aurais lâché un « Beurk ! » mais, présentement, je n’en éprouve aucune répulsion. Aucune attirance particulière non plus. Soudain, une inspiration venue d’on ne sait où me suggère de retourner illico habiter mon corps. Je n’en éprouve pas l’envie pressante. Je constate néanmoins que mon niveau de vol vient de s’abaisser, me rapprochant de cinq pieds de mon presque-cadavre. Je reste placide. Je décide que je ne descendrai pas plus bas. Un autre pompier pose un appareil sur le sol. On plaque sur ma poitrine deux électrodes reliées à deux fils enfichés dans le dit-appareil.
Écartez-vous ! clame avec autorité le médecin.
Je tressaute – pas moi, mon corps – sous le choc électrique. Mais, d’où je suis, je demeure toujours flegmatique, analytique et ne ressens aucune émotion particulière. Du moins je subodore que je m’impose ce mode de pensée. Et j’y parviens sans effort. Je me protège. Comme si je ne voulais pas encore découvrir la suite du programme. Là où je stationne, je suis serein. Je flotte entre deux vents. À désormais trois mètres de hauteur, j’observe à loisir les évènements liés à ma condition post-mortem. Et je m’en trouve bien.
Re-massage cardiaque. Trente pressions. Deux baisers sur la bouche. Électrodes. Je tressaute une nouvelle fois. Et je descends d’encore quatre pieds. Je me trouve à moins de deux mètres de ma quasi-dépouille. Et il me semble qu’elle est à deux doigts de se réanimer. Ça ne tient qu’à un fil. Il ne lui manque que moi, que mon esprit ou mon âme – je n’arrive pas bien à faire la différence. Il suffirait que je me décide, que je me lâche et je descendrais tout doucement. Comme un drone qui s’apprête à atterrir. Délicatement, je me glisserais dans mon cerveau pour réintégrer ce fidèle compagnon de voyage et puis voilà, ce serait reparti comme en quarante. Je devrais le faire. J’ai l’impression que « là-haut » on me souffle que ce serait mieux pour moi. Que mon projet de vie n’est pas terminé. C’est tentant. Et je suis à deux doigts de me décider, d’autant que mon camarade pompier repart pour une série d’embrassades qui me font descendre de trois pieds supplémentaires.
Mais non ! En fin de compte, je n’ai pas envie. Ma jambe est vraiment tordue. Retrouver la souffrance de mon corps commotionné, la douleur de mes os brisés ? Pas envie ! Je sais que ce n’est pas l’unique raison. Disons que le vécu – tant personnel que professionnel – traversé lors des derniers mois de mon existence ne m’encourage pas à affronter un avenir terrestre qui risque de se montrer décourageant. Il est vrai, néanmoins, que je commençais à me donner les moyens de repartir. Mais bref ! Non, niet, et que nenni. Je n’en ai pas envie ! Tout simplement, pas envie. Je ne suis pas si mal, à flotter comme cela dans les airs. Je ne souffre de rien. J’observe. Et je comprends tout, tellement mieux que dans la vraie vie.
Dès les premières secondes, en pleine phase de décollage, j’ai commencé à prendre conscience que j’étais totalement libre de mes décisions. Que c’était même la Liberté avec un grand « L » qui devenait le fondement de toutes les règles de mon nouvel espace-temps. Cela s’est imposé à mon esprit comme une bienheureuse évidence. J’en suis bien aise, moi qui, à cor et à cri, ai toujours revendiqué d’être libre. Liberté, liberté chérie. Mais, auparavant, l’ai-je été vraiment, libre ? La société, la politesse, les petits chefs, les marchés, les cours de la Bourse, les femmes, les petits mensonges permettant d’éviter les complications, les paroles prononcées à destination des plus forts que soi… la compromission quotidienne, quoi. Celle qui fait de nous des êtres définitivement situés dans la famille des mi-durs ou dans celle des mi-mollassons… ce qui revient au même.
Ça y est, c’est terminé. On déplie une couverture brune sur ma dépouille. On m’en couvre le visage. Je suis mort. Cliniquement mort. Complètement mort ! Il n’y a plus rien à faire. L’ambulance repart, sans sirène et sans se presser. À quoi bon ? La Fiat 500 qui m’a percuté est garée vaille que vaille, un peu plus loin, sur le trottoir. Calandre et capot enfoncés, pare-brise en dentelles. Dommage, elle était mignonne cette ridicule petite voiture. L’information m’arrive tout de go qu’elle appartient à la belle-fille du conducteur. Ce malheureux – qui ne roulait pas si vite que cela et qui n’y est pour rien – se trouve quant à lui toujours aux prises avec la police. Il souffle frénétiquement dans l’éthylotest en se demandant si les deux verres de blanc qu’il a pris sur le zinc, il y a une heure, vont le faire réagir. Je sais que non. Le zéro-gramme-cinquante toléré lui laisse suffisamment de marge. Vive la France ! De toute façon, s’il avait ingurgité un Coca-Cola à la place de son blanc, le millième de seconde gagné sur ses réflexes n’aurait rien changé à la situation.
Les badauds se dispersent. La jolie brune réintègre sa maison et referme sa porte-fenêtre. Les bruits de la rue reprennent leur densité habituelle. Leur train-train. Et moi, je fais quoi maintenant ?
Le choc a été rude, j’en conviens, mais de là à passer l’arme à gauche… Ce n’était pas le moment. Lorsque la voiture m’a surpris, j’échafaudais des plans pour me refaire. J’allais trouver la solution. J’allais rétablir ma situation, sortir de la faillite. Reprendre ma vie d’antan, celle d’un quasi fortuné. Peut-être même que Céline allait me revenir. J’étais presque aux anges. Tellement confiant que – comme un malade prenant le train pour Lourdes – j’en avais acheté un billet de Loto. Serrant contre mon cœur le ticket chanceux – que j’avais glissé dans la poche intérieure de ma veste –, je me suis avancé sans regarder, ni à droite, ni à gauche. Et voilà ! Paf ! C’est au moment où je rendais grâce au Ciel pour la confiance que je plaçais dans mon avenir que la calandre de la Fiat 500 m’a projeté vers lui. C’est un comble ! Alors que j’étais empli de reconnaissance pour les bienfaits que m’accordait le Créateur, d’un coup, il choisissait de me soustraire à l’existence. Pour moi qui, globalement, suis un bon fidèle – pratiquant l’église à Noël et à la Toussaint – c’est fort de café ! Présentement je trouve que la Miséricorde du Tout-Puissant ne possède pas les largesses qu’on lui prête… Bon ! Sans doute que, présentement, je suis un peu de mauvaise foi. Et, comme là où je me trouve à virevolter entre deux vents on ne peut plus rien dissimuler, je dois borner mes propos d’impartialité et m’en tenir à la franchise la plus transparente. Je l’avoue, tout à l’heure, il m’a bien été proposé de repartir vers mon corps pour continuer l’aventure terrestre. À plusieurs reprises. Trois exactement. Et surtout lors du dernier baiser fougueux du médecin-pompier. Oui, c’est bien moi qui n’ai pas saisi la perche au bond. J’en conviens.
Au point où j’en suis, j’ai besoin de rassembler tous mes esprits – où sont-ils, d’ailleurs, s’ils n’habitent plus mon cerveau ? – pour étudier en profondeur la situation.
Je ne suis pas si naïf. J’ai lu toutes les œuvres de Raymond Moody. Les NDE américaines ça me connaît. Comme les EMI françaises. Dans quasiment toutes celles dont on trouve la description dans les livres ou les reportages, il y a le grand entonnoir qui vous aspire vers sa lumière et qui vous entraîne on ne sait où. « On ne sait où » parce que tous les narrateurs qui y sont entrés en sont ressortis avant d’arriver à l’extrémité de son goulot. Ceux qui ont filé leur petit bonhomme de chemin vers la sortie, n’ont jamais rien raconté, et pour cause : ils n’ont jamais fait demi-tour. Seuls ces derniers ont pu connaître et jouir de la Grande Surprise. Mais ce que l’on peut déduire du témoignage des revenants du mi-chemin, c’est que tout le monde s’y engouffre, dans ce tunnel.
Et pourquoi devrais-je faire comme tout le monde ? Le grand entonnoir, qui se tient là, derrière moi, impassible, m’attend assurément. Il m’espère sans doute, sans toutefois aller jusqu’à taper du pied d’impatience. De vous à moi, je ne suis pas pressé de me retourner. Cet aspirateur de jeunes défunts ne m’inspire qu’à moitié confiance. Je le dis comme je le pense. Je refuse même de regarder l’embouchure de son tuyau ! Et puis je ne suis pas vraiment préparé à la rencontre d’ancêtres déjà décédés ou d’accompagnateurs angéliques – car, tous les témoignages concordent, il y en a qui vous attendent. Je ne pourrais pas y couper. Ils vous attendent, poliment, gentiment, patiemment. Tous, assis sur un bord de l’entonnoir, à guetter le quidam de leur connaissance avec qui ils doivent prendre contact. C’est la règle. L’hospitalité des gens habitant l’ad-vitam-aeternam est parfaite, à ce que tout le monde raconte. À tout coup, il y en a même qui savent comment je m’appelle et tout ce que j’ai fait dans ma vie. Je reste méfiant. Le spirituel : je suis pour. Mais en ce qui concerne la prise de décision rien ne vaut le bon vieux pragmatisme matérialiste. En cette circonstance, ce dernier me souffle de rester prudent. Si je me retourne, j’ai toutes les chances de passer en jugement. Car – autre précision – on n’échap-pe pas au jugement de ses actes. C’est ce qui se dit. Et quand la probabilité de perdre s’avère trop élevée, on ne lance pas les dés sur le tapis vert… Mais pourquoi cette idée saugrenue ? Pourquoi devrais-je perdre ? Je n’ai vraiment pas à rougir de ma vie. La couleur de mon âme doit tirer sur un blanc assez honnête, du genre Omo label Mère Denis. J’en suis pratiquement certain. Avec mon vécu de ces dernières semaines, il me semble que j’ai dû rafler un maximum de bons points. Si je le souhaitais, c’est la tête haute que je pourrais m’avancer dans le grand entonnoir, secouant à bout de bras la liasse de ces points méritants. Arrgh… le grand entonnoir. Encore là ! Qui me fait remarquer que je lui tourne toujours le dos. Bien qu’il ne semble pas s’en offusquer, il me fait sentir sa présence, jusqu’au point de m’indisposer. Lui, placide, il sait qu’il a tout le temps devant lui. C’est pour cela qu’il ne manifeste aucune impatience. Sa muette insistance m’énerve un tantinet. J’en viendrais même à critiquer son comportement. Ce qui serait absurde. Parce qu’en fait, en laissant toutes grandes ses portes ouvertes et en proposant son ascenseur gratuit pour l’au-delà, il fait tout bonnement son boulot d’entonnoir. Cependant, il me reste ma liberté. Une liberté totale et opposable – car j’ai bien compris la règle. Et je constate, en mettant les choses à plat, que si je me retourne pour lui dire bonjour, c’est la mort certaine qui m’attend, la musique funèbre, le tintement de la cloche de mon glas résonnant sur la ville.
Moi, je regarde la tache rouge de mon sang qui sèche sur la pierre des pavés. Je regarde le balcon de la jolie femme qui écarte une nouvelle fois le rideau de sa porte-fenêtre. J’arrime mon esprit sur le concret. Sur la pierre, sur la si belle matière qui m’a hébergé durant quarante-trois années. J’aime la matière. J’ai toujours été matière. Pourquoi devrais-je changer ? Pourquoi devrais-je quitter ce monde ? La bonne terre chaude qui le compose, et tous mes amis les atomes ? Je me cramponne, je m’attache à ce que je vois. La ville, ses bruits, ses fumées, ses platanes, ses gens qui vont et viennent, ses ordures entassées sur le trottoir. Je refuse de partir ! Je ne me retournerai pas ! Je n’entrerai pas dans l’entonnoir !
D’aucuns me diront : « Il faut savoir ce que tu veux ! Tout à l’heure tu ne voulais plus vivre et maintenant tu ne veux pas mourir. » Je sais. Mais c’est comme ça. J’ai mes raisons. Si je n’ai envie ni de l’un, ni de l’autre, c’est mon droit. La preuve en est que je suis toujours dans l’entre-deux… Une inquiétude vient taquiner mon imagination. Suis-je devenu ce que l’on appelle un fantôme ? Cette idée ne me rassure pas du tout. Je n’ai pas envie d’en rester à ce stade. Réfléchissons ! Première solution, celle pour laquelle j’aurais dû opter tout à l’heure : réintégrer mon corps en tentant ma chance à l’hôpital. Revivre, à la surprise de tous. D’emblée, ma raison me souffle la réponse : hypothèse éliminée d’office. C’est trop tard ! Il existe des lois physiques incontournables. Des espaces qui s’ouvrent et se referment sans que l’on ne puisse rien y changer. Mon état d’extra-terrestre m’en rend éminemment conscient. Seconde solution : le grand entonnoir. Non, non et non ! Je ne le sens pas. Je ne suis pas prêt à mourir définitivement. Et puis je fais ce que je veux ! C’est ma vie. Je ne me retournerai pas. Je ne regarderai pas la lumière. Pas maintenant… Conclusion : me voici revenu à mon point de départ. Sincèrement, j’ai envie de comprendre pour quelle raison j’en suis encore là. Incapable de me décider, incapable d’évoluer autre part que dans cet entre-deux. Il y a forcément une réponse, une sortie de secours cachée dans un recoin de l’impasse où je me trouve, une solution qui me satisferait.
Réfléchis, Patrick, réfléchis ! Les NDE, le récit des morts-cérébraux revenus à la vie. Peut-être est-ce là que se trouve la solution ? Je me souviens parfaitement du témoignage d’un certain nombre de revenants. Tous déclinent, en une succession ordrée, les stations qui conduisent de vie à trépas. De vie à vie, devrais-je dire. Je prends conscience que, dans ces expériences de décorporation, où naviguent à vue ceux qui passent la porte de la mort, j’ai omis une étape cruciale – vitale – : l’obligation de voir défiler toute sa vie devant ses yeux. Règle incontournable. Et ça, je ne l’ai pas encore expérimenté. Peut-être que cela m’aiderait à choisir ? À comprendre pourquoi j’en suis là ? Je pose donc une réclamation : j’exige de revoir toute ma vie !... S’il vous plaît, si quelqu’un m’entend.
À grande vitesse, je m’éloigne de la rue de la Villette. Vais-je vers le haut, le bas, le nord ou le sud ? Tout cela ne veut plus rien dire. Mon vieil espace-temps vient d’être balayé. On m’entraîne quelque part. Je ne suis pas inquiet. Merci d’avoir répondu…