Premier Chapitre
1Le Diable est un honnête homme, il ne demande rien pour rien...
« Jamais je ne m’étais sentie si bien en un lieu qu’à Hauteclaire.
J’avais découvert son existence en décembre. En février nous l’habitions. Pourtant j’adorais ma petite maison de banlieue parisienne où Alex et moi avions été si heureux, avant et après notre mariage, et bien, oui, cela faisait déjà cinq ans ! Bien sûr on y était un peu à l’étroit, nous deux plus Charlotte, sa fille de bientôt huit ans, ça faisait beaucoup de monde pour les quatre pièces minuscules. Rien à voir avec Hauteclaire... Hauteclaire ! C’est Céleste, la mère d’Alex qui a prononcé son nom pour la première fois, un dimanche après-midi… »
Céleste était revenue de sa province pour régler une histoire d’héritage compliqué. Le jour tirait à sa fin, un petit jour fade de décembre doux et tout plein de pluie depuis le matin, un jour dont les heures s’égrenaient interminablement. Camille avait laissé tomber la correction de son livre pour accueillir sa belle-mère. Elle ne l’avait vue que de rares fois, toujours brièvement, Alex s’entendait mal avec elle. Maintenant, appuyée sur le canapé, envahie par un étrange vague à l’âme, une tasse de thé refroidissant sur ses genoux, la jeune femme l’écoutait parler avec son fils, se laissant bercer par le brouhaha de leur conversation. Des histoires de famille, leur projet mal ficelé encore à elle et Alex d’acheter une maison plus grande, à la campagne. Elle en était à contempler la pluie qui coulait lentement le long des vitres qu’elle n’avait pas eu le temps de faire - chic ! Céleste ne remarquerait rien ! pensa-t-elle - quand il y eut un silence soudain. Camille eut l’impression d’être encore écolière, lorsque le maître l’interrogeait en pleine leçon, les sourcils froncés, mais hélas, elle n’avait rien écouté, trop occupée à rêver.
— Vous parlez d’acheter une maison, mais pourquoi ne vous installez-vous pas à Hauteclaire ? répéta Céleste innocemment, s’adressant d’ailleurs à présent plus à la jeune femme qu’à Alex.
Dieu bon ! Qu’est-ce que c’était qu’Hauteclaire ?
Alex avait pris brusquement un air gêné et surpris, comme si sa mère se mêlait de ce qui ne la regardait pas Il la foudroya du regard mais la vieille dame poursuivit, sirotant, imperturbable, son thé qu’elle prenait invariablement brûlant et affreusement sucré.
-- Cette maison t’inspire, tu le sais, et je n’ai vu que peu de tableaux dans ton atelier …Et puis je me demande comment vous faites pour vivre ici tous les trois, les uns sur les autres ! Alex ouvrit la bouche, la referma, agita nerveusement les mains et chassa d’un coup Pim, la Persanne de Charlotte qui voulait monter sur lui se faire caresser. Il était pourtant un grand amoureux des chats, en particulier de celle-ci qu’il avait offert à la fillette pour son huitième anniversaire : c’était une Chinchilla argentée aux yeux d’émeraude, souligné de khôl, un regard prenant et magnifique qui ébahissait toujours Camille. Nommée Ank’setunem et très commodément rebaptisée Pim par la petite, la chatte était, après l’enfant, la petite déesse de la maison et Alex la vénérait comme tel, gardant de petits morceaux de steak dans son assiette à son intention et lui permettant l’accès au lit conjugal, une faveur.
Il se leva, pâle et l’air furieux, ses mains tremblant imperceptiblement. Camille s’en aperçut et cela le troubla. Elle n’avait jamais vu Alex se mettre dans un état pareil au cours de leur courte vie commune, ni bousculer Pim partie bouder sur une étagère, hiératique, assise immobile sur son derrière, la queue décrivant un demi-cercle magique et protecteur autour d’elle.
— Mon atelier me suffit, maman, et tu as raison, je ne peins que peu, mais suffisamment pour gagner ma vie…Je ne vois pas pourquoi tu me parles d’Hauteclaire, je suis très bien ici, avec Camille, même si ça te paraît petit. J’ai été assez malheureux là-bas, tu dois t’en souvenir - et sa voix prit un timbre amer - non, dit-il, je ne retournerai pas à Hauteclaire avant longtemps en tous les cas, peut-être même jamais.
Le mot « jamais » résonna, sec et définitif aux oreilles de Camille. Le moment était sans doute mal venu mais la curiosité fut plus forte que toute la volonté de la jeune femme qui risqua une timide entrée en matière, ouvrant délicatement la boite de Pandore-Hauteclaire.
— Voyons, l’un de vous deux aurait-il la bonté de me dire ce que c’est qu’ Hauteclaire ? Je ne sais même pas à propos de quoi vous vous querellez... Ce serait gentil de me mettre dans le secret des dieux.
Pour le coup Alex sembla perdre toute patience.
— Bravo maman, tu as gagné. Et bien raconte à Camille, moi je vais me préparer un verre et puis il sera l’heure d’aller chercher Charlotte au centre équestre. Il y avait un jeu en manège et on devait la récupérer vers dix-huit heures... J’y vais.
Sans attendre de réponse il partit dans la cuisine où les deux femmes purent l’entendre ouvrir et refermer violemment la porte du frigo pour prendre le goûter de la petite. Puis il grimpa quatre à quatre l’escalier menant à la chambre. On entendit bientôt le premier mouvement du Requiem de ce bon vieux Mozart se répandre dans toute la maison. Cela dura quelques minutes, puis Alex coupa la musique, dévala les escaliers muni de son manteau et claqua très fort, trop, la porte d’entrée.
— Sa messe des Morts, il sait que je déteste cela... murmura Céleste.
Comme si l’altercation avait dérangé sa coiffure, elle passa en soupirant les mains dans ses cheveux bien coupés, tira la jupe de lin de son tailleur de prix sur ses jambes pour qu’elle ne fasse pas de plis. Elle avait dû autrefois être une belle femme, soucieuse de sa beauté, elle l’était encore, d’ailleurs... Elle possédait une certaine classe naturelle dont Alex avait héritée, ainsi d’ailleurs que de ses yeux magnifiques d’un bleu plus profond chez lui, changeant selon son humeur - et Alex en changeait souvent ! - .
A côté de Céleste Camille se sentait toujours un peu gauche, mal à l’aise. Elle avait essayé un jour de porter une jupe et des talons hauts pour lui faire honneur et même de se friser les cheveux. Mais Alex avait déclaré, un sourire aux lèvres :
— Laisse tomber, bébé, ce n’est pas comme ça que je t’aime. Si j’avais voulu une femme sophistiquée, j’aurais choisi quelqu’un d’autre. Tu es une aristo nature, et pas une petite bourgeoise...
Gentil, mais un peu vexant. La jeune femme en était revenue à porter des jeans et des pulls confortables, ses cheveux défrisés ramenés sur la nuque en un chignon indiscipliné, pour le maquillage juste un peu de ricil et elle évitait de se rogner les ongles depuis peu. Bourgeoise, certes elle n’en avait pas la nature. Aristo oui, peut-être, ne serait-ce que par le nom à rallonges un peu ronflant hérité de ses ancêtres, Camille Herbault de la Grimaudière et par son amour invétéré des chevaux allié au goût des vieilles demeures. Cela, c’était un cadeau de Papy Sosthène, le père de sa mère. Jusqu'à plus de quatre-vingt cinq ans il avait habité seul un vieux manoir délabré sans confort moderne, palais des courants d’air, dont une tour remarquable du douzième siècle croulait sous le lierre et menaçait ruine. Près des écuries fraîches, dans les prés envahis d’orties paissaient des Pur-sang aux longues jambes, aux doux naseaux, aux yeux de velours un peu fous. Les chevaux de course étaient la vie et le souffle de Sosthène. Camille se souvenait toujours des vacances d’été qu’enfant elle avait passées chez lui jusqu'à presque quinze ans, dans un trou perdu à la campagne du côté de la Bourgogne. Aucune adolescente n’aurait aimé ça, la solitude, pas de télé, un vieux téléphone et le village à trois kilomètres, mais elle, si. Elle attendait juillet avec impatience, rêvant des mois durant de ses cavalcades sur le dos ensellé d’un vieux Pur, un champion auquel le papy avait offert une retraite bien méritée vu tout ce qu’il avait gagné. Le soir, Sosthène la régalait d’histoires du temps jadis, le meilleur, celui de ses vingt ans, de confitures maison incomparables et bien sûr d’épiques histoires de chevaux. Béate, Camille l’écoutait assise devant le feu flambant dans la cheminée vaste à cuire un veau, toute courbaturée de ses randonnées campagnardes et par l’inconfort de son siège d’époque. Elle retardait toujours le moment d’aller se coucher, appréhendant délicieusement l’instant de se rendre seule à sa chambre à la lueur tremblante de la bougie, Sosthène n’ayant jamais fait installer l’électricité dans l’aile gauche du manoir, là où elle dormait. Elle aurait d’ailleurs préféré mourir que d’avouer ses craintes au vieil aristocrate. Une de la Grimaudière n’avait qu’une chose à redouter, Dieu, aurait dit sentencieusement le vieil homme. N’empêche, dans le lit à baldaquins couvert d’une courtepointe de velours passé, elle mettait longtemps parfois à trouver le sommeil, écoutant craquer la vieille demeure et ululer sans répit une nichée de chouettes effraies dans le grenier ouvert.
Camille en était à contempler le jeu d’un rayon de soleil égaré sur l’or de la chevalière de Sosthène qu’elle portait à la main gauche lorsque la voix de Céleste la fit sursauter.
— J’ai contrarié Alex, c’était maladroit de ma part mais je voudrais tant qu’il peigne de nouveau dans un cadre qui l’inspire, qu’il redevienne le grand Alexandre d’Estruval d’autrefois, le jeune peintre si prometteur….
Camille se leva, engourdie d’être restée assise si longtemps. .
— Ecoutez, si vous me disiez ce qu’est cette fameuse Hauteclaire ? Lorsque vous l’avez évoquée cela a contrarié Alex, non ?
Céleste soupira à fendre l’âme.
— Tout cela est une longue histoire. Hauteclaire…C’est une très vieille maison qui doit dater du siècle dernier, une grande maison à la campagne ou devrais-je dire perdue dans la campagne, près d’un charmant hameau et d’une rivière. Claude, mon mari, l’avait achetée une bouchée de pain à l’époque, je vous parle de cela il y a plus d’une quarantaine d’années. A l’époque déjà plus personne ne voulait de ces grandes baraques difficiles à chauffer et à entretenir... moi la première ! J’ai toujours apprécié le confort de mon petit appartement et de la ville vous savez...
— Vous vous êtes séparée de votre mari, je crois ?
— Alex vous a raconté...Oui. Je ne m’entendais plus avec lui. Aussi, après la majorité d’Esther, je suis partie. J’ai très peu vécu à Hauteclaire, en fait.
Sa voix avait eu un sanglot difficilement contenu en prononçant le nom d’Esther.
— Alex et sa sœur aimaient beaucoup le domaine. C’est peu dire. Plus encore que mon mari, qui en était fou, d’ailleurs. Je n’ai jamais rien compris au charme qu’ils trouvaient à cette maison, tous les trois. Enfin, mon mari, malade à la dernière extrémité a fini par la donner à l’aînée, Esther. Notre fils a reçu une autre propriété, une grosse ferme en héritage. A la mort de Claude, il s’est empressé de la vendre et il est resté à Hauteclaire avec sa sœur. Ils y vivaient dans une complète harmonie, s’adorant, perdus dans leurs rêves d’artistes, parcourant les terres en quête d’inspiration. Esther était une musicienne hors pair, mais elle peignait aussi, divinement, vraiment, peut-être mieux qu’Alex, avec une inspiration incroyable. Elle signait toujours ses toiles d’une petite fleur de lys accrochée à l’initiale de son prénom, cachée invariablement à gauche dans le bas du tableau…Il fallait bien la chercher pour la trouver…Sa marque à elle. Et puis Esther est morte tragiquement là-bas, comme Alex a dû vous le dire...
Non, Camille ne savait pas qu’elle était morte à Hauteclaire, il n’avait jamais évoqué cette maison devant elle et une fois seulement le décès de sa sœur, un accident, un drame, une fille merveilleuse et promise à un si bel avenir, avait-il déclaré... Rien de plus et devant son visage si sombre et si fermé elle n’avait guère eu le courage d’insister. Il maintenait vraisemblablement Esther - comme Hauteclaire dont elle découvrait à présent l’existence - ensevelie au plus profond de sa mémoire, évitant d’en parler pour ne pas souffrir.
— Cette demeure lui rappelle de mauvais souvenirs si sa sœur y est morte. C’est normal qu’il ne veuille plus y retourner, Céleste. Et puis nous sommes bien ici, vous savez.
Elle s’était de nouveau assise en face de sa belle-mère. Bien, certes. Mais la terrible imagination de Camille travaillait déjà depuis qu‘elle avait entendu le mot « Hauteclaire » tout à l’heure. Avec un nom si arrogant, cette maison devait être extraordinaire. Si elle pouvait ressembler à celle de grand-père Sosthène... Si elle pouvait retrouver en cette demeure comme un double de la maison de son enfance qui finalement, avait été vendue aux enchères pour une bouchée de pain, comme les chevaux, en lot, au premier maquignon venu, pour combler les dettes du grand-père entiché de ses Pur Sang jusqu'à la ruine... Car tout a une fin, même Sosthène, que Camille avait pensé immortel dans l’inconscience de sa jeunesse. C’était le boulanger, l’un des rares avec le facteur à monter jusqu’au manoir, qui, un beau jour de juillet lumineux s’inquiéta d’entendre hennir les chevaux dans les prés. Il glissa le pain dans le sac pendu à la porte de la cuisine, « s’étonna du raffut que faisait ces satanés bestiaux » et décida de faire le tour des écuries. Le vieux lui avait souvent offert la goutte en hiver, il pouvait bien aller voir s’il n’avait pas pris un mauvais coup. Aussi, à son âge « était-ce raisonnable de s’entêter avec ces canassons qui lui avaient bouffé la baraque ? » pestait-il, transpirant déjà sous le chaud soleil d’été. Il eut un haut le corps de surprise en trouvant Sosthène couché par terre, raidi déjà, ses seaux de grains renversés par terre, des ficelles de ballots de foin à la main. La mort, violente, imprévue, ne lui avait pas laissé le temps d’aller nourrir ses chers équidés et de murmurer des douceurs à sa poulinière favorite, La Merveille, comme il le faisait tous les jours. Cette année-là Camille avait dix-sept ans et avait délaissé pour la première fois la Bourgogne pour des vacances insipides passées au bord de la mer avec des jeunes de son âge. Elle se souvenait encore de son retour vers Paris puis du trajet jusqu'au manoir comme dans un rêve, ou plutôt un cauchemar. Et puis l’enterrement de Sosthène, le chagrin qu’elle avait réussi à contenir tout au long de la cérémonie, même au moment où elle avait entendu tomber la terre sur le cercueil au fond du trou, sur grand-père enfermé tout raide là-dedans dans son unique costume du dimanche, lui qui aimait tant la liberté, la vie, les bois et les bêtes, un bon verre de vin et ses chers chevaux. Sûrement, le vieil aristocrate n’était pas là. Il devait survivre quelque chose de lui ailleurs. Où, elle ne savait pas trop. En tous les cas pour elle il n’était pas sous cette pesante dalle de marbre où s’étalait son nom gravé en lettres dorées, luisantes, sinistres sous l’insolence du soleil d’été. A la fin de la cérémonie, la mère de Camille avait pris doucement la main de l’adolescente pour y passer la chevalière de l’aïeul à l’annulaire gauche.
— Il voulait qu’elle soit à toi un jour. C’est fait. Garde-là bien, elle est très précieuse. Elle est aux armes de notre famille et nous appartient depuis toujours. Elle n’a jamais quitté sa main…
Les larmes étaient venues alors, soulageant Camille. Depuis la jeune femme n’avait jamais quitté le bijou. Outre la chevalière, Camille garda de son grand-père la nostalgie du temps passé, la passion des vieilles pierres et des vieilles choses, des chevaux de race, des récits fantastiques et, constant, éternel, le regret de n’avoir pas été là pour l’assister au dernier moment. Céleste toucha la main de Camille qui revint brusquement à la réalité, à cette maison, Hauteclaire, et à Esther, cette inconnue.
— Bien sûr, qu’Alex ne veut plus aller là-bas, Camille. Il chérissait tellement sa sœur, plus que tout au monde... et elle, elle adorait Hauteclaire, vous comprenez...
Le cœur de Camille se pinça et elle s’en voulut de cette réaction idiote. Céleste avait l’air si convaincue...et convaincante. Il chérissait sa soeur plus que tout au monde...L’amour d’Alex pour Esther était-il supérieur à celui qu’il lui portait à elle ? Elle haussa les épaules sans même s’en rendre compte, comme pour signifier qu’elle s’en fichait. On n’aime pas sa sœur de la même façon que sa femme. Et puis Esther était morte et elle vivante, elle possédait cette supériorité sur elle. Morte de quoi d’ailleurs ? Elle allait poser la question à Céleste quand celle-ci revint à la charge, finissant d’un trait sa tasse de thé comme pour prendre des forces.
— Je sais que vous vous sentez bien, ici, c’est très coquet ce que vous avez fait de cette petite maison...mais voyons ! , ce n’est pas comparable à Hauteclaire. Alex pourrait de nouveau y peindre et vous vous y seriez au calme pour écrire, vous auriez de la terre pour vos deux chevaux.... Avec en prime le bon air pour Charlotte. Bien sûr la maison exige des travaux mais rien n’est irréparable.
Elle avait posé sa main sur celle de Camille et la serra avec force, comme pour la convaincre. Camille songea à la serre d’un oiseau de proie qui l’agrippait. Et puis ce subit intérêt pour leur confort la laissait sans conviction.
— Voyons Céleste, vous qui n’avez, semble-t-il, jamais trop apprécié Hauteclaire, si vous me disiez vraiment pourquoi vous désirez tant que nous, nous y retournions ?
Céleste regarda sa bru, lâcha sa main et son sourire d’apparat quitta ses lèvres. Camille remarqua alors combien elle paraissait vieille dans le soir qui tombait.
— Vous seriez près de moi. Je m’ennuie de mon fils et de ma petite-fille. Vous savez, j’ai raté - oh, volontairement je le sais - une partie de la vie de mes enfants et je n’ai pas voulu me charger de Charlotte lors de la rupture d’Hélène avec Alex. Je regrette. Maintenant je voudrais les avoir près de moi, et vous avec. Et puis vous savez qu’Alex a un vrai talent. Ses premières toiles ont eu un succès fou, il y a quelques années. Il est en train de gâcher sa carrière à cause de la mort de ma pauvre Esther d’abord et du départ d’Hélène ensuite....
Elle lança un nouveau coup d’œil à la jeune femme, mais elle devina qu’elle ne l’avait pas convaincue complètement encore. Alors elle abattit son jeu d’un coup, comme un joueur fatigué.
— Ecoutez, c’est difficile à dire mais je suis très malade. D’après le médecin, il arrivera un moment où je ne vais plus pouvoir voyager. Je voudrais me sentir près d’Alex. Il ne me reste que lui comprenez-vous ? J’habite à une quarantaine de kilomètres d’Hauteclaire, c’est tout près. Je voudrais que les erreurs du passé, notre mésentente, enfin…tout soit réparé.
La nouvelle de la maladie de Céleste étonna Camille. Elle paraissait bien, pourtant. Mais en l’observant discrètement, la jeune femme nota que sa belle-mère avait abusé de la poudre pour cacher des cernes sous ses yeux ; son beau tailleur de marque flottait un peu sur elle, aux épaules surtout.
— Je suis sincèrement désolée pour vous, Céleste. Quant à Alex j’avoue qu’il ne peint que peu, juste de quoi vivre…
— Vous voyez... Ecoutez, je connais vos goûts, cette maison est faite pour vous. Avec le TGV, vous ne seriez pas loin de Paris et de votre éditeur. Alors pourquoi ne pas essayer ?
— Evidemment, cela me plairait, plus que vous ne pouvez l’imaginer. Et puis Charlotte ne rêve que d’avoir son poney à la maison. Mais il faudra convaincre Alex, ce qui ne m’a pas l’air évident même si vous me dites qu’il arrive à peindre sans problèmes à Hauteclaire , ce qui devrait être un bon argument pour le décider . Au fait, pourquoi est-il plus inspiré là-bas à votre avis ?
— Cela, ma petite, je l’ignore ! Mais il a réalisé ses meilleures toiles à Hauteclaire, il y puise son énergie créatrice sans doute. Vous savez bien que des tas de poètes, de peintres, d’écrivains ne se réalisaient jamais aussi bien que dans leur lieu f